Il y a 35 ans, j’étais étudiant sur un campus texan et je m’étonnais de ces Américains toujours prêts à admettre leur « ignorance ». « I don’t know », « No idea », « Never heard of it » revenaient constamment dans leurs bouches.

Pourtant, ce n’était pas des ignorants. Souvent plus âgés que moi, étudiants en master’s ou PhD, originaires des quatre coins du pays, ils en avaient sûrement plus que moi dans la tête. Seulement voilà : quand ils ne savaient pas, ils le disaient, simplement. Moi, on m’avait appris tout le contraire.

Pour préparer les concours d’entrée, on m’avait formaté pour avoir toujours une réponse. Quelle qu’elle soit. Répondre « je ne sais pas » était impensable, un signe de faiblesse pour un futur manager. En cela, les classes prépa ne représentaient cependant pas une exception. Elles se contentaient de reprendre un biais de l’ensemble de la société.

Ce biais est toujours aussi présent dans la société actuelle : si tu ne sais pas quelque chose, alors tu es vraisemblablement un ignorant (de façon générale). Pour avoir de la valeur, il faut avoir un avis sur tout, participer aux débats, toujours « ramener sa fraise ». Je dois vous avouer que quand quelqu’un me demande sa route, j’ai beaucoup de mal à ne pas lui proposer une réponse, quand bien même je n’ai pas la moindre idée de l’adresse qu’il vient de me demander… « Hm, la place Poulet ? Heu… Je me demande si ce n’est pas… »

Donc tout le monde sait. Lancez une conversation dans votre famille, avec vos amis ou vos collègues sur un sujet quelconque, de préférence complexe (par exemple : comment s’adapter au réchauffement climatique, reconstruire le Proche-Orient ou résoudre la crise des réfugiés ?) et il est vraisemblable que la discussion va rapidement s’enflammer et les arguments fuser. Pourtant, moi, je n’ai aucune réponse à apporter à ces trois questions. Je ne sais pas. Et votre famille, vos amis et vos collègues non plus (à mon avis).

Quel est le problème ? Le problème, c’est de vous envoyer vers la place Bir-Hakeim au lieu de la place Poulet. Et, vous l’avez compris, plus la question sera grave, plus l’erreur sera gênante.

Alors faudrait-il laisser les réponses à une élite triée sur le volet qui, elle, sait ? Mon passage en prépa me laisse à penser que les élites ne savent pas forcément mais qu’elles sont formatées pour prétendre savoir. Et ce n’est pas un problème franco-français : même les étudiants américains abandonnent le « I don’t know » quand ils deviennent experts (ils sont payés pour savoir) ou politiciens (ils sont élus parce qu’ils savent ce qu’il faut faire). George W Bush et ses experts savaient quoi faire au Proche-Orient, même quand ils n’y avaient jamais posé les pieds.

En fait, face à des situations complexes, personne ne sait quoi faire. De façon générale, bien malin qui sait comment aborder le futur et on a tous ce sentiment dérangeant que les solutions habituelles sont dépassées et qu’il faudra trouver du neuf.

Aïe ! Alors que faire ? C’est simple : accepter ça et dire « Je ne sais pas ».

Je me permets d’affirmer cela parce que c’est la posture de l’improvisateur (pour co-créer en temps réel une histoire intéressante, le comédien-improvisateur écoute, accepte et lâche prise) et que je pense que c’est l’état d’esprit qu’il faut avoir face à l’inconnu.

Reconnaître qu’on ne sait pas, ça veut dire :

– être totalement à l’écoute, utiliser tous ses sens, sans idée préconçue de ce qui est ou de ce qu’il faut faire,

– faire avec les autres,

– développer une mentalité d’explorateur : prendre du plaisir dans l’exploration, dans la nouveauté… ne pas essayer de revenir rapidement au monde connu en trouvant une « solution »,

– essayer, expérimenter,

– accepter de ne pas tout contrôler, accepter l’erreur, cultiver sainement le doute : ce qui fonctionne maintenant ne fonctionnera peut-être plus demain, les solutions ne sont pas éternelles et les avis d’experts pas forcément les meilleurs.

C’est la mentalité de celui qui sait saisir les opportunités, co-créer des solutions vraiment innovantes et avancer sans peur vers l’avenir.

Alors n’hésitez pas ! Dîtes plus souvent « Je ne sais pas » et boostez votre vie.

Cet article m’a été inspiré par le livre « Not knowing – The art of turning uncertainty into opportunity » (2015 CMI Best management book award) de Steven D’Souza et Diana Renner, LID Publishing, 2014.